Analyse tout à fait pertinente qui ne peut que rassembler sociologues et techniciens du foot.. Lisez bien jusqu'au bout..
Sociologue et amateur de football, Stéphane Beaud avait réagi à chaud à la crise sud-africaine des Bleus en publiant dans Libération une tribune remarquée (Les Bleus dans les filets du sociologue), point de départ d’un essai, Traîtres à la Nation (1). Il réagit aux informations prêtant à des dirigeants du foot français des intentions de discriminations négatives contre les joueurs noirs.
Comment avez-vous reçu les informations de Mediapart ?
D’une manière paradoxale. Le livre sur la grève des Bleus invalidait la lecture racialisante et stigmatisante qui s’est largement imposée dans les médias après l’épisode du «bus de la honte» (les meneurs étiquetés comme «caïds de quartier» et désignés comme «Noirs»). Or, Mediapart ferait état - il faut bien sûr rester prudent - de la diffusion au sein de certaines instances de la FFF d’un discours prônant une discrimination raciale à rebours, pour éviter la trop grande présence de joueurs noirs en centre de formation. Ces révélations produisent chez moi un certain malaise.
Mediapart mêle deux sujets : la question de la discrimination selon des critères ethniques et celle de la binationalité des joueurs et du choix du pays d’origine de leurs parents comme équipe nationale. Ils n’ont, à mon avis, rien à voir. Le fait que la FFF, conformément au vœu tôt formulé par Laurent Blanc, s’empare de ce problème posé par le départ en nombre croissant de jeunes joueurs français très doués, formés dans les meilleurs clubs formateurs français, qui ont joué pour les équipes françaises de jeunes, ne me paraît pas illégitime : ce n’est pas faire preuve de nationalisme étroit que de clarifier cette question, d’encadrer le choix de cette nationalité sportive et de les inciter à jouer pour leur pays de naissance (la France).
Les propos tenus, semble-t-il, au sein de la FFF vous paraissent-ils découler de ce qui s’est passé lors de la Coupe du monde, en juin dernier ?
En partie, oui. Cette grève des Bleus a provoqué un séisme non seulement dans le football professionnel, mais pour l’ensemble du football amateur. En 2010-2011, il y aurait 8% de licenciés en moins. C’est considérable. La DTN a dû se demander à la hâte comment, à l’avenir, éviter un tel fiasco. Le vrai problème que doivent aujourd’hui affronter à tous les niveaux (amateur comme professionnel) les dirigeants et éducateurs de foot, ce n’est pas la couleur de la peau des joueurs, mais la difficulté croissante d’adapter ces joueurs, venus pour beaucoup de cités, aux contraintes du football en club. Et c’est un travail de tous les jours, ingrat, difficile, qui renvoie aux conditions de socialisation des jeunes de milieux populaires. Mais qui peut beaucoup payer, quand il parvient à canaliser la formidable énergie que peuvent déployer certains d’entre eux.
N’est-ce pas aussi le produit d’une histoire plus longue, qu’on peut faire remonter à 1998 avec l’expression «Black, Blanc, Beur» ?
Le cycle a commencé avec Le Pen lors de l’Euro 1996, mettant en cause la loyauté nationale des joueurs de l’équipe de France à partir de la trop forte présence à ses yeux de Noirs dans cette équipe. Il s’est poursuivi en 2005, au moment des émeutes en banlieue, par les déclarations fracassantes sur le même thème d’Alain Finkielkraut au journal israélien Haaretz. Georges Frêche en a rajouté une couche quelque temps plus tard. Et on attend sans impatience les déclarations sur ce sujet d’Eric Zemmour, le nouveau penseur d’une fraction de l’UMP. Plus sérieusement, un simple regard historique nous fait voir que la composition de l’équipe de France ne fait que refléter fidèlement sur la longue durée les différentes vagues d’immigration qui ont alimenté et enrichi (il serait peut-être bon de le dire de temps en temps) la société et le foot français : immigration polonaise (Kopa, Wisnieski…), italienne (Piantoni, Platini), espagnole (Amoros, Fernandez), algérienne (Zidane, Benzema), etc. sans oublier l’apport constant des Antillais. Aujourd’hui, le vivier de recrutement des joueurs se situe parmi les joueurs d’origine africaine : l’OM, premier en Ligue 1, avec Steve Mandanda et les frères Ayew, ne s’en plaint pas. Le reste me semble pure idéologie.
La FFF et la DTN se défendent en pointant un style de jeu, la nécessité de moins donner d’importance au physique. Dans quelle mesure ce discours sert-il de voile à un discours raciste inavouable ?
J’ai du mal à imaginer que ces personnes qui ont consacré leur vie professionnelle au foot, qui ont passé des heures et des heures avec ces différentes générations de joueurs plus ou moins «colorés» puissent tenir des discours, au sens propre du terme, «racistes». Qu’ils puissent être exaspérés par certains comportements, qu’ils reprennent parfois des expressions discutables («sarrasins», dans quel contexte est-ce dit ?….), certes ! Mais de là à les accuser de racisme, c’est un pas que je ne franchirai certainement pas.
Quel rôle vous semble avoir joué les médias dans l’évolution de ces questions ? Et plus généralement l’ambiance du débat public ?
Je vais être bref : si on pouvait cesser d’instrumentaliser le football et surtout de «projeter» à ce point sur cette équipe de France de foot les graves problèmes sociaux et politiques de notre nation en crise…
(1) «Traîtres à la nation, un autre regard sur la grève des Bleus en Afrique du Sud», La Découverte.